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Randall Wisser, Tina Rambonilaza, Eric Reiter et d'autres participent à ce challenge
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Randall Wisser, Tina Rambonilaza, Eric Reiter et d'autres participent à ce challenge
1- Qu'est-ce que la recherche en rupture ?
2- Une recherche particulièrement risquée et de ce fait moins attractive dans le contexte actuel ?
3- L’inter- ou la trans-disciplinarité, des atouts pour favoriser la recherche de rupture ?
La recherche s’organise autour de disciplines et d’objets d’étude. De plus, sur une période donnée, la recherche se structure autour d’un certain nombre de questions et de méthodes qui définissent ce qu’on appelle souvent des « fronts de sciences ». Par rapport à ces fronts de sciences, on peut distinguer des recherches qui font avancer le front (dans le monde de la gestion de la recherche on parle souvent de « recherches d’excellence »), et des recherches qui stabilisent les acquis (recherche de consolidation). Ensemble, ces deux types de recherches forment la science courante [1].
La science courante comporte bien sûr des risques. Par exemple, sur le front de la science, la combinaison de la collaboration, de l'émulation et de la compétition, et la prime donnée à la nouveauté, exposent au risque de se voir devancer dans une découverte.
Généralement la science courante se pratique en mode « incrémental ». Construite sur un édifice de savoirs, de méthodes et de techniques déjà éprouvés, elle assure une progression aussi garantie que possible, construite sur l’état de l’art, et organisée comme un « projet de recherche ». Cet incrément peut impliquer des nouveautés théoriques ou conceptuelles, mais qui viennent toujours se rajouter au sommet de la structure de savoir (ou la consolider de l’intérieur). Parce que cette recherche incrémentale est au cœur même de la science courante, il existe tout un système d’appels à projets destiné à la financer.
Les historien∙nes des sciences, épistémologues et chercheur∙ses en « Science des Sciences » ont montré que la pratique de la science courante s’accompagne de la mise de côté d’un certain nombre d’anomalies sur lesquels les collectifs scientifiques soit i) s’entendent pour les considérer comme des « exceptions qui ne nuisent pas à la règle », soit ii) tentent d’en rendre compte via des constructions incrémentales de moins en moins assurées (voir par exemple Ludvick Fleck [2] ou Thomas Kuhn [3] et toutes les recherches sur ces questions conduites depuis). A un moment, ces anomalies font craquer l’édifice de savoirs, de concepts, de méthodes et de styles de pensée (qu’à la suite de Thomas Kuhn on appelle un paradigme). On assiste alors à une crise majeure avec la montée de plusieurs tentatives de reconstruction alternatives. A un moment donné, l’une d’entre elle s’avère plus convaincante et un nouveau paradigme est fondé. C’est ce que l’on appelle une révolution scientifique. Les révolutions scientifiques sont bien sûr des moments rares en science.
Les études ont montré qu’entre science courante et « révolutions scientifiques majeures », on peut définir une troisième modalité de recherche, qui permet d’accélérer les avancées de la science et que l’on peut appeler la « recherche de rupture » [4]. Il s’agit pour des chercheur∙ses, même en dehors d’une période de crise majeure, d’aller au-delà des acquis balisant leurs cultures scientifiques et leurs champs de recherche respectifs : théories, pratiques, hypothèses, méthodes voire modes de pensée. Ces ruptures se caractérisent souvent par des changements de concepts et de point de vue, l’identification d’anomalies inaperçues, des innovations méthodologiques inattendues, des styles de pensées inhabituels. Souvent elles impliquent un retour aux racines des questions envisagées, ce qui fait qu’on a pu les appeler des recherches « radicales » (en opposition à « incrémentales ») [5] , disruptives, ou aussi, au sens strict, « excentriques » (en anglais, « out of the box »). On peut aussi imaginer des ruptures au niveau d’un front de science actuel (par exemple par une « percée méthodologique »), mais c’est semble-t-il plus rare.[1] Les épistémologues parlent aussi à son propos de « science normale »
[2] Genèse et développement d'un fait scientifique (1935) ; voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Ludwik_Fleck
[3] La Structure des révolutions scientifiques (1962), voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Kuhn
[4] Park M, Leahey E, Funk RJ. 2023. Papers and patents are becoming less disruptive over time. Nature 613(7942): 138-+. ;
Yanai I, Lercher MJ. 2023. Make science disruptive again. Nature Biotechnology 41(4): 450-451.
[5] Bruno Thurheim, 2024, lors de la réunion de lancement d’EXPLOR’AE ;
What’s really new in this work?. Nat. Biomed. Eng 7, 1–2 (2023).
Les tentatives de ruptures ajoutent aux risques associés à toute entreprise de recherche. Par essence, elles présentent un plus grand risque d’échec. De plus, en cas d’échec, elles resteront souvent impubliables, puisque personne ne trouvera intéressant la réfutation d’une hypothèse ou une approche perçue comme inattendue voire farfelue. Le fait qu’elles puissent être perçues comme excentriques peut aussi colorer le profil des gens qui la portent, leur posant un problème en termes d’évaluation et/ou de recrutement.
Enfin, même lorsqu’elles réussissent et se traduisent par d’excellentes publications, il faut du temps pour que celles-ci soient remarquées et intégrées. Ce n’est qu’ensuite, en général, qu’une rupture réussie se traduira par une montée soudaine des citations et la restructuration d’un nouveau front de science. C’est ainsi d’ailleurs que les chercheurs en épistémologie et en « Science des sciences » les repèrent sur le plan bibliométrique. Or, leurs études montrent au niveau international que le nombre de recherches de rupture diminue [6] (en tout cas celles qui ont réussi à se publier). Les causes en sont multiples [7], mais il semblerait que le mode de financement majoritaire sur projet ait favorisé cette raréfaction.
[6] Park M, Leahey E, Funk RJ. 2023. Papers and patents are becoming less disruptive over time. Nature 613(7942): 138-+. ;
[7] Voir par exemple Kozlov M, 2023, 'Disruptive' science has declined - and no one knows why. Nature 613(7943): 225-225 ;
Bourdieu P, 1997, Les usages sociaux de la science Quae Coll Sciences en Questions ;
Latour B, 2001, Le métiers de chercheur, regard d’un anthropologue, Quae, Coll Sciences en Questions ;
Grisons F, 2011, Les sciences autrement Éléments de philosophie à l'usage des chercheurs curieux Quae ;
Gingras Y, 2017, Sociologie des sciences, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » ; etc.
L’inter-disciplinarité peut être définie comme des « Interactions disciplinaires favorisant une réponse plus systémique et/ou la transformation partielle d’au moins une des disciplines impliquées, voire de chacune d’elles » ; alors que la trans-disciplinarité se caractérise par une « réalisation commune au travers ou au-delà des disciplines, et plus récemment au-delà des sciences (par exemple art & science). Toutes deux contrastent avec la pluri-disciplinarité, définie comme « une réalisation commune, par juxtaposition, sans que chaque discipline ait à modifier sensiblement sa vision des choses et ses méthodes » ; cette dernière étant très adaptée au mode de fonctionnement « par projet ». L’inter-, et probablement la trans-disciplinarité, par le croisement des points de vue et/ou des méthodes, peuvent permettre la réalisation de la rupture (par exemple elles facilitent la détection d’anomalies, ou favorisent des styles de pensées différents). Toutefois, elles impliquent un investissement en temps et comportent des risques spécifiques (par exemple pour se comprendre et se mettre d’accord, puis pour se faire comprendre et reconnaitre). De même, la conduite de recherches dans des secteurs et sur des objets différents peut aboutir au développement de nouvelles compétences éventuellement synergiques, mais les articuler demande un travail spécifique [8].
Ainsi, si elles sont construites de manière crédible, l’inter- et/ou la trans-disciplinarité peuvent constituer des atouts ; mais aucune des deux n’est ni une fin en soi, ni même un pré-requis pour candidater au volet EXPLORATION de ce programme.
[8] Bourguignon 2019 https://erc.europa.eu/news/supporting-interdisciplinarity-challenging-obligation ;
Garin et al. : Nat. Sci. Soc. 29, 2, 206-212 (2021) : https://hal.inrae.fr/hal-03503223v1/document ;
Blanc et al 2023 CNRS Éditions, ISBN : 978-2-271-13983-2 https://miti.cnrs.fr/actualite/linterdisciplinarite-voyages-au-dela-des-disciplines/
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